Noël des bêtes

Un âne et un boeuf ?

L’âne et le bœuf réchauffent de leur haleine le Petit Jésus qui vient de naître… Paroles d’évangile? Pas du tout…

Ni Mathieu, ni Marc, ni Jean ne font allusion à la naissance de Jésus. Seul Luc l’évoque et nous dit en parlant de Marie : « Et elle mit au monde son fils premier-né; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. » Et voilà tout…


Et des moutons ?


Enfin, pas tout à fait, puisqu’il ajoute : « Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. » Des troupeaux de quoi ? Nous n’en savons rien. On les imaginera bientôt de moutons, mais dans ce Moyen Orient d’il y a deux millénaires, rien ne nous dit qu’il ne s’agissait pas de chèvres, de vaches, de chameaux, ou d’ensembles composites…

Alors d’où sortent cet âne et ce bœuf, sans parler des moutons? Eh bien, comme une bonne partie de ce qui fait la religion populaire du monde chrétien, non pas des textes canoniques, mais de ce que nous appelons les évangiles apocryphes : des textes plus récents (parfois pas de beaucoup du reste), qui brodent sur ce que racontent les quatre évangiles retenus comme références au IVsiècle. Ou inventent ce qu’ils ne disent pas…


Le texte qui nous intéresse ici, du VIsiècle (appelé ordinairement l’Évangile de l’Enfance du Pseudo-Matthieu) dit ainsi :«Or, deux jours après la naissance du Seigneur, Marie quitta la grotte, entra dans une étable et déposa l'enfant dans une crèche,et le bœuf et l'âne, fléchissant les genoux, adorèrent celui-ci.»

Comme souvent, l’apocryphe va ensuite chercher dans l’Ancien Testament les références qui justifient, par avance, la présence de ces bêtes. Selon le même procédé, on trouvera ensuite une foule de justifications théologiques à la présence de ce bestiaire, annoncé prophétiquement, en y voyant de nombreux symboles – notamment en ce qui concerne brebis et agneaux.

Mais en pays d’oc, à partir de la fin du XVIsiècle, les chants de noël vont voir affluer à la crèche toute sorte d’animaux, venus d’eux-mêmes ou accompagnant tous les types humains possibles.

Une véritable volière

Un détail toutefois intrigue dans nos noëls chantés : la présence en nombre d’oiseaux de toute espèce, alors qu’aucun d’entre eux ne pointe son bec dans un seul des évangiles canoniques. On pense alors tout de suite à saint François d’Assise qui les sermonnait, et dont on dit qu’il fit la première crèche…

En réalité, il ne s’agissait pas de ce que nous entendons aujourd'hui par ce mot. Pour célébrer la noël 1223, François fait installer une mangeoire pour servir d’autel ; on apporte du foin, on y conduit un bœuf et un âne, et c’est là qu'un prêtre dit la messe, pendant que lui chante l’évangile.

Quant au prêche aux oiseaux, auprès desquels on raconta qu’il obtint un vif succès, il fait partie de la légende du saint. Mais on trouve dans les textes sacrés autres qu’évangéliques assez de volatiles pour l’étayer, et pouvoir ensuite commenter la chose. Et plus encore dans les apocryphes, telle cette Histoire de l’Enfance de Jésus du IIIsiècle, qui commence ainsi :

Alors qu'il était un enfant âgé de cinq ans, Jésus était en train de jouer près du gué d'un ruisseau, et il faisait couler de l'eau, la dirigeant vers une flaque, afin de la rendre claire. Ensuite, il tirade la vase de l'argile molle et en façonna douze oiseaux. C'était alors le jour du sabbat et beaucoup d'enfants jouaient avec lui. Un Juif le vit en train de faire cela avec les enfants, et il alla vers Joseph son père et accusa Jésus en disant : « Il a fait de la boue et il en a façonné des oiseaux le jour du sabbat où il n'est pas permis de le faire. » Et Joseph, étant arrivé, le réprimanda en disant : « Pourquoi fais-tu un jour de sabbat ce qu'il n'est pas permis de faire ? » Mais, l'ayant entendu, Jésus frappa des mains et fit s'envoler les passereaux en disant : « Allez, volez et souvenez-vous de moi, vous qui êtes vivants. » Et les passereaux s’envolèrent en poussant des cris.

On ne s’étonnera donc pas de voir notre imagination populaire rêver pareillement, en associant tant d’oiseaux à la naissance de Jésus.Sans parler de tous les autres animaux, souvent les plus inattendus.

Le comptier de cette année, un Nadal dels aucèls languedocien, en fournit un bon exemple par la liste des oiseaux venant adorer leur Dieu, qui dort entre un âne et un bœuf. Le coq arrive en tête, suivi par le chardonneret, le passereau, la caille,le merle, la linotte, le pigeon, l’alouette, la bergeronnette, le verdier et finalement le rossignol, chacun y allant de son cri, à grands renforts de tirli-chiu-chiu,rocon-roconet autres tira-liron

Dans un Nadalet dels aucelons de laLozère, un ange n’en appelle que quelques-uns, qui arrivent à tire d’ailes, mais chacun (colombe, rossignol, alouette, pinson et chardonneret) chante du coup bien plus longuement.

Concours de bêtes

Élargissant le panel animalier, Marius Bourrely aligne respectivement en 1852,dans La nuech de Novè : coq,poules, porc, chèvres, âne, lapins, mulet, bœuf, cabris,tourterelles, pigeons, qui tous ont un comportement aberrant,franchement inquiétant. Puis un ange vient annoncer ce qu’il se passe et, à la suite des bergers, des foules immenses arrivent les rejoindre de partout, en route pour Bethléem.

La même année, Jean-Baptiste Gaut (qui en 1875 créera à Forcalquier la première pièce moderne de théâtre en langue d’oc) y va de son Novè dei bèstias,qui viennent présenter leur compliment à l’Enfanton. Voici celles qu’il y rassemble, par ordre d’entrée en crèche :chien, coq, poule, chevrette, bouc châtré, bélier, agneau, brebis,canard, sarcelle, chouette, dindonneau, mante religieuse, grive,grillon, âne, chat. Un nouveau chien clôt le défilé, mais c’est celui de saint Antoine qui, aussitôt, se met à caver una gròssa rabassa,qu’il offre fièrement à Jésus !

Le record en nombre d’animaux, repéré en cherchant des noëls animaliers pour ce Nadalet, appartient à un cantique languedocien anonyme du XVIIIsiècle, simplement intitulé « Noël Novelet » et qui commence ainsi, par l’annonce d’un ange aux bergers :Pastors, nosauts vos anomçam / De venir saludar l’Enfant ».Ceux-ci se mettent en route avec, entre autres cadeaux, d’excellentchapons et l’inévitable agneau. Cette mise en train prend tout demême douze couplets, après quoi on précise que tordus, borgnes etbossus, non seulement seront les bienvenus et fort bien logés, maisqu’en plus l’Enfant les guérira ! Commence alors le défilédes animaux, chantant bien sûr dans leurs langages (parfois àl’unisson), dansant également et effectuant diverses acrobaties,pour le plus grand plaisir de l’Enfant à qui ils font ainsi lacour. Soit, dans l’ordre : l’âne, le bœuf, le cheval, lechardonneret, la linotte, le rossignol, le corbeau, leloup, l’agneau, le serpent, la grenouille, la poule,le coq, le rat, le chat, l’ours, le chien ; puis on secontente de les énumérer, sans refaire leur cri ou décrire leurstours : merle, pie, coucou, levraut, alouette, oie, renard,crapaud, mule, belettes, serins, petites linottes, geais,hirondelles, bruants et moineaux… L’auteur ne peuts’empêcher de remarquer qu’ainsi, cette étable faisait ladeuxième Arche de Noé !...

Bêtes en solo, en duo ou en bande

D’autres noëls mettent en avant un seul animal, et en font tout un conte.Comme la Vaca,de Roumanille, qui nous chante en sept couplets le récit du propriétaire de la plus belle vache de tout Bethléem. Celui-ci vante avec orgueil la qualité et l’abondance de son lait, sans compter la beauté du veau qu’elle vient de faire. Il les amène à la crèche pour les faire bénir, en proposant familièrement à Marie, pour le cas où elle manquerait de lait, de faire téter savache à son bébé ! Ce que le Petit Jésus s’empresse de faire…

Mais qui aurait pensé que saint Joseph avait un chat ?Antoine-Blaise Crousillat nous explique même, en 1880, que ce« fléau des rats » (flèu dei garris) lui était si cher qu’il fit partie de son bagage sur l’âne depuis Nazareth. Quant à Marie (désignée ici par un diminutif :Mionet),elle l’appréciait parce qu’il lui tenait les pieds chauds quand elle avait froid au lit…

La cigale et la fourmi, à la rivalité si célèbre, se réconcilient dans un noël du Manosquin Joseph-Toussaint Avril (1840) pour aller à Bethléem. La cigale charge la fourmi sur son dos pour s’y rendre,parvenant même à embarquer comme biaças deux coquilles d’escargot vides, où la fourmi a entassé le gran qu’elle compte amener en cadeau. Une fois arrivées, la cigale se pose sur le bâton de saint Joseph, d’où la fourmi transporte encourant ses graines qu’elle remet à Marie, qui les reçoit en riant. Pendant ce temps, à force d’acrobaties pour amuser Jésus,la cigale glisse du bâton jusque sur le dos de l’âne… C’est de là que toutes deux adorent le Sauveur et félicitent sa mère,avant de s’en retourner dans le même équipage.

Enfin,les bêtes les plus inattendues finissent par se retrouver dans nos noëls provençaux, comme ceux de l’abbé Lambert (1815-1868), et son incroyable Lei lusetas (les vers luisants). Qui, malgré le froid, sortent de terre en quantité, pour recouvrir le bœuf jusqu’au bout des cornes, afin d’éclairer la grotte de Bethléem, pour que Marie et Joseph puissent inspecter ces lieux obscurs… effrayant au passage l’âne, qui en éparpille le foin de ses sabots. Puis la Vierge en prend délicatement un pour le remercier, avant qu’il ne redescende le long de sa jupe pour aller rejoindre ses semblables…

La présence, auprès de la Sainte Famille, de toutes ces bêtes et bestioles qui, depuis des siècles, fourmillent familièrement dans nos noëls, avant de gagner nos crèches, a pu (ou peut encore)paraître blasphématoire aux intégrismes ; mais pour tous ceux qui les y ont placées, il s’agissait simplement de montrer que toute la création devait alors se réjouir, et qu’ils s’en ressentaient profondément solidaires.

Des chansons aux santons

C’est toutefois en Provence qu’à partir du début du XIXsiècle, cette célébration chantée d’une Nativité entourée d’animaux, se matérialise sous forme de santons – qu'on voit alors s’y diffuser – tandis qu’elle se poursuit sous sa forme traditionnelle, ainsi qu’en pastorales, contes,mimologismes, proverbes et autres fruits de l’inventivité populaire.

Il était donc tout naturel d’utiliser quelques santons pour illustrer ce Nadalet. Pour cela je n’ai pas eu à chercher bien loin,utilisant ceux de ma propre crèche. Mais aucune des photos de celle-ci, prises les années précédentes, ne présentait les animaux autrement que dispersés à différents emplacements, ce qui symbolisait insuffisamment le thème retenu. J’ai donc juste monté l’étable avec la Sainte Famille, rassemblant devant elle toutes les bêtes que j’avais dans ma crèche, le temps d’une photo qu’un ami ayant aidé à la manœuvre prenait avec son téléphone.

Marie,Joseph, l’âne et le bœuf (ainsi que le chameau, en avance mais venu en reconnaissance), comme tous les autres personnages (et les maisons) ont été sculptés ou découpés par mon père dans des morceaux de bois de récupération à la fin des années 1940. La peinture – des fonds de pots de provenance diverse – ayant mal vieilli, je les ais repeints une quarantaine d’années plus tard.Le Petit Jésus d’origine, en cire tout comme l’ange, achetés àla foire aux santons à Marseille, n’ayant pas survécu aux aléas de l’existence, j’en ai taillé un nouveau dans une bougie :ainsi, il demeure en cire comme son prédécesseur, même si la gouache ne le laisse pas deviner…

Des autres animaux, seuls les moutons en coton, le chat et deux poules n’ayant guère gardé de peinture sont là depuis le début. Les autres ont été achetés à des dates diverses. Quant aux deux limaçons présents l’un d’eux, venu là de son plein gré, a été remis dehors une fois la photo prise. L’autre n’est qu’une coquille vide ramassée pour l’occasion tout comme celle, de forme conique, d’une variété n’entrant pas dans la catégorie limaçon. Même si vous ne parvenez pas à distinguer toutes les bêtes présentes autour de cette crèche ornant la couverture,sachez qu’il y en a quarante-trois…

Les airs de ce Nadalet

Tous sont des cantiques de Noël occitans, majoritairement provençaux mais pas seulement, allant de la fin du XVIsiècle au vingtième. Nous y avons joint deux noëls catalans de la même famille, donnant une place importante – la première parfois– aux animaux liés à la crèche, et au rôle qu’on a imaginé au cours des âges qu’ils auraient pu y jouer. (On reverra sur notre site le comptier de 2022 et les 32 oiseaux différents du Cantdels ocells.) Comme le plus souvent, il s’agit soit de compositions entièrement nouvelles, paroles et musiques, soit de chants nouveaux sur des airs connus, appartenant à tous les genres possibles. Dont bien sûr nombre de noëls d’oc vite célèbres, sur l’air desquels on n’a cessé d’inventer de nouvelles histoires. Il ne faudra donc pas, en les écoutant, vous étonner d’y reconnaître parfois l’un d’entre eux, pas spécialement animalier au départ, mais sur l’air duquel on s’est plu à chanter plein de belles histoires, où toutes les bêtes – elles aussi – se rendent à la crèche.


                                                                                                                                                                                                                                                                                Jean-Yves Royer


Programme


Mardi 17 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (8 fois)

Novè dei bèstias


Mercredi18 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (7 fois)

Lo cabrier

Cantem coma cal


Jeudi 19 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (6 fois)

Entre lo buou e l’ase gris

Lève-te viste, Pieron

Lo Nadalet dels aucelons


Vendredi 20 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (5 fois)

Pastors,nosauts vos anonçam

Mantenem,Senhor, deliurat

Leilusetas

Lorossinhòu canta


Samedi 21 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (4 fois)

Cançó del rossinyol

Lo cat de sant Josèp

Revelhatz-vos,pastorèls

Anuech quand lo gau cantava

La cabreta


Dimanche 22 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (3 fois)

Lo Nadal del rossinhòl

La bòna novèla

Anem pastors a Betlem

Lacamba me fai mau

Lorauba-galinas

Dieu vos gard, sénher Guilhaumèu


Lundi 23 décembre à 16 heures


Nadal dels aucèls (2 fois)

Ai !Lo lo lo grand plesir

La catarineta

Novè deis aucèus

La nuech de Novè

Lei dos ais

La cigala e la forniga

La dindoleta


Mardi 24 décembre à 12 heures


Nadal dels aucèls (1 fois)

Lei pijons

L’àngel e lo rossinhòu

La vaca

Novè dau pastre

Entendètz pas los àngels ?

Tora-lora-lora

L’ai e lo buòu

La tèrra es freja


Mardi 24 décembre à 16 heures


Lesmêmes, dans l’autre sens


                                                                                                                                                           Retour

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